lundi 13 novembre 2017

Aper , porcus... clin d'oeil aux terminales.

Le cas du sanglier dans l’Antiquité

Le mythe du sanglier gaulois


La sortie du nouvel album du plus célèbre des Gaulois, Astérix et la Transitalique, est l’occasion de revenir sur l’une des icônes de la table des irréductibles ennemis de César : le sanglier. Des générations de lecteurs ont été nourries de cette image d’Obélix revenant de forêts giboyeuses et ramenant fièrement le fruit de sa chasse. Il n’en fallait pas moins pour faire des Gaulois, dans l’imaginaire populaire, les plus grands amateurs de la chair de ce suidé.


Pourtant, contrairement à ce cliché de la série, la consommation de sangliers par les Gaulois n’est guère corroborée par les sources et relève davantage de la légende. Brisée par la pioche de l’archéologue. Cette idée reçue peut s’expliquer par l’imaginaire qui s’est développé autour des paysages de la Gaule pré-romaine : un territoire couvert de forêts encore vierges, où l’agriculture est peu développée. Alors qu’en réalité, les terres gauloises, fertiles, sont très largement mises en valeur, ce que ne manquent pas de relever les géographes antiques. Bien plus, l’archéozoologie offre des données nouvelles au sujet de l’alimentation carnée des populations gauloises de l’Antiquité. Et il s’avère que l’essentiel des animaux consommés sont des animaux issus de l’élevage. Les archéologues n’ont trouvé que très peu de restes issus de la chasse sur leurs sites de fouille. Pour ce que nous en savons, le gibier consommé se compose principalement de lièvres et de petits cervidés. Chasser le sanglier est donc loin d’être une pratique courante chez nos amis les Gaulois, qui semblent lui préférer, lorsqu’ils chassent, le petit gibier. Du coup, les animaux d’élevage représentent une part conséquente de leur alimentation : porc, bovins ou ovins. Mais aussi les canidés… À la différence des Romains, qui n’y touchent pas, les chiens gaulois sont parfois utilisés comme animaux de boucherie.



En revanche, le sanglier est bien revêtu d’une forte dimension symbolique en Gaule, puisqu’on peut le voir surmonter par exemple le célèbre carnyx une sorte de long cor utilisé par les Gaulois.  Il figure également sur certaines enseignes militaires, telle celle découverte à Soulac-sur-Mer.  À défaut d’être une nourriture prisée, le sanglier est entouré d’une dimension mythique, presque totémique.


Les Romains en quête de sangliers


À l’inverse, la chasse au sanglier est une activité noble pour les Romains, y compris pour l’empereur. À Rome, sur l’arc de Constantin, plusieurs reliefs sculptés représentent l’empereur Hadrien en train de chasser divers animaux, dont le sanglier. Au fil de ses longs voyages à travers l’Empire, Hadrien chasse, en Italie, en Asie Mineure ou encore en Egypte : sangliers, lions et ours figurent parmi les proies les plus prestigieuses, elles prouvent les valeurs viriles et guerrières du prince. La consommation du gibier chassé donne souvent lieu à des banquets, parfois en plein air, comme le montrent certaines mosaïques, ce qui n’est donc pas un apanage gaulois.

Pline l’Ancien témoigne lui-aussi du succès que rencontre le suidé auprès des Romains, au point que des parcs à sangliers sont créés. La gourmandise qu’il suscite est telle que des lois somptuaires sont adoptées pour limiter sa consommation :

Les porcs sauvages ont été eux aussi en faveur. Déjà les discours de Caton le Censeur blâment l’usage de la couenne de sanglier. Cependant on divisait l’animal en trois parties et on servait celle du milieu, qu’on appelait lombes de sanglier. Le premier Romain qui servit dans des banquets des sangliers fut P. Servilius, le père de ce Rullus qui, sous le consulat de Cicéron, promulgua la loi agraire : tant est récente l’origine d’un usage à présent quotidien. Les Annales l’ont également noté, apparemment pour corriger les mœurs de ceux qui mangent deux ou trois sangliers en même temps, non pas dans tout un repas, mais seulement en entrée. Le premier Romain qui inventa des parcs pour les sangliers et les autres animaux sauvages fut Fulvius Lippinus. Il établit des pâtures pour bêtes sauvages dans la région de Tarquinies et fut imité peu de temps après par L. Lucullus et Q. Hortensius.

Une fois ramené comme trophée de chasse, le sanglier fait l’objet des soins des cuisiniers qui n’hésitent pas à développer une multitude de façons de le préparer pour les riches tables romaines.


Cuisiner le sanglier à la Romaine


Le sanglier est bien loin d’apparaître comme un mets de barbare pour les Romains : eux-mêmes en sont de grands amateurs. Il suffit d’ouvrir le recueil d’Apicius, le De re coquinaria, pour y trouver dix recettes de sanglier, ce qui représente une proportion importante dans ce livre. Parmi ces recettes, neuf sont des sauces, preuve des multiples raffinements qui entouraient la consommation de cette viande à Rome, tandis que l’une d’elles indique comment farcir le cuissot de sanglier à la façon de Terentius. Les sauces peuvent être chaudes ou froides et mobilisent parfois un nombre conséquent d’aromatiques et de condiments. On peut deviner qu’il s’agit de décliner les saveurs pouvant se marier avec la viande du sanglier, mais aussi peut-être d’en marquer le goût parfois prononcé :

Pilez du poivre, de la livèche, de l’origan, des baies de myrte dénoyautées, de la coriandre et des oignons ; mouillez de miel, de vin, de garum et d’un peu d’huile, faites chauffer et liez à la fécule. Arrosez de cette sauce le sanglier après l’avoir fait cuit au four. Procédez de même aussi pour toute espèce de venaison

Poivre, livèche, graine de céleri, menthe, thym, pignons grillés, vin, vinaigre, garum et un peu d’huile. Quand le jus de la viande aura bouilli, ajoutez une boulette de votre préparation et remuez avec de l’oignon et un bouquet de rue. Si vous voulez l’épaissir, liez la sauce avec des blancs d’oeufs liquides, remuez doucement, saupoudrez de poivre pilé et servez.

Poivre, livèche, cumin, graines d’aneth, thym, origan, un peu de silphium, une bonne dose de graines de roquette ; ajoutez du vin pur, un peu de fines herbes, de l’oignon, des noisettes ou des amandes grillées, des dattes, du miel, du vinaigre, un peu de vin pur, du défritum pour colorer, du garum et de l’huile.


Le sanglier, héros de la littérature latine


Le célèbre festin de Trimalcion dans le Satiricon met lui aussi en scène le sanglier, retenant ainsi toutes les attentions lors de ce banquet mémorable. Les serviteurs apportent en effet aux convives, dressé sur un grand plateau, un suidé coiffé d’un bonnet d’affranchi. Sur ses défenses, sont suspendues des corbeilles remplies de dattes.





Des marcassins faits à partir de pâte sont disposés autour de son corps pour évoquer la laie allaitant ses petits. Au moment de trancher son flanc, des grives s’envolent de ses entrailles tandis que des oiseleurs tentent de les capturer dans la salle à manger. Cette mise en scène spectaculaire est évidemment un rappel de la chasse, dont est issu le sanglier qui s’apprête à être savouré par les invités du riche affranchi. Bien que les descriptions de ce festin faites par Pétrone soient exagérées et très rabelaisiennes, elles reflètent le goût des Romains pour les plats luxueux, où l’illusion excite la gourmandise, à l’images des petits marcassins de pâte. Cet exemple traduit un trait caractéristique des riches banquets : l’art de mettre en scène les plats servis grâce aux subterfuges habiles des cuisiniers.

Ainsi, notre fameux sanglier, à défaut d’être le parfait emblème de la table gauloise, fait bonne figure auprès des amateurs de bonne chère à Rome. Les raffinements de la culture et de la gastronomie romaine permettent, pour ainsi dire, de civiliser cette viande issue du monde sauvage et d’en faire un mets de choix sur les meilleures tables de l’Empire.

Par Dimitri Tilloi, agrégé d’histoire et chargé de cours à l’université Lyon III, il est l’auteur de L’Empire Romain… Par Le Menu, paru chez Arkhê.
http://www.arkhe-editions.com/2017/11/au-dela-de-la-gourmandise-dobelix/

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