dimanche 4 octobre 2020

MVNDVS PATET

 ANTE DIEM TERTIUM NONAS OCTOBRES

 

Trois journées particulières étaient marquées des lettres MP dans le calendrier romain. MP pour Mundus Patet : le monde (des morts) est ouvert. 

Le 5 octobre (comme le 24 août et le 8 novembre), le monde s'ouvre, "Terre bée" comme l'a écrit Michel Serres dans Biogée (2010)*, et les esprits des morts viennent vagabonder parmi les vivants. Pendant ces trois journées, toute activité officielle était interdite. 

" (...) l’historien grec Plutarque rapporte, dans sa biographie de Romulus (11,2), la fondation « dans la zone du Comitium actuel », d’un monument qui porte le nom de mundus : il s’agirait d’une « fosse circulaire » ( βό θρος κυκλοτερή ς ) dans laquelle chaque compagnon de Romulus, après y avoir déposé les prémices des récoltes, aurait jeté « une poignée de terre apportée du pays d’où il était venu », (...)

 Il faut donc, comme le fait F. Coarelli, restituer toute sa valeur au témoignage de Plutarque, qui situe le mundus « dans la zone du Comitium actuel » ( περὶ τὸ νῦν Κομίτιον ). Comme le Comitium, en tant que monument, n’existait plus à l’époque de Plutarque (depuis le remaniement de la zone par les grands travaux césariens et augustéens), cette expression doit elle aussi provenir directement de Varron, dont le témoignage peut ainsi difficilement être remis en cause. En s’appuyant sur un passage de Macrobe, F. Coarelli situe très précisément le mundus dont parle Plutarque entre l’autel de Saturne et le Comitium (Saturnales, I, 11, 48 : et in sacellum Ditis arae Saturni cohaerens), à l’emplacement d’une curieuse construction conique en brique qui s’élève derrière les Rostres impériaux, à côté de l’arc de Septime Sévère, et qu’il identifie avec lumbilicus Urbis, le « nombril de la Ville », ce qui en ferait à la fois le centre symbolique de la cité et un centre cosmique . Il admet que ce mundus a pu être à la fois la « fosse circulaire » dont la partie souterraine était vouée aux divinités infernales et était ouverte trois fois par an, lorsque « mundus patet », et une fosse de fondation, c’est-à-dire un monument qui commémorait la fondation de la cité.

Les descriptions du mundus laissées par les sources antiques sont en effet ambiguës : d’une part, il s’agirait d’une fosse de fondation dans laquelle les compagnons de Romulus auraient jeté des « prémices » ainsi qu’une motte de terre de leur pays d’origine; d’autre part, il s’agirait d’une cavité souterraine dans laquelle on pouvait descendre, mais qui était normalement maintenue fermée parce que vouée aux dieux Mânes ou aux divinités infernales, et qui était exceptionnellement ouverte trois fois par an, à des jours marqués dans le calendrier par les lettres MP (mundus patet : « le mundus est ouvert »), au cours desquels il n’était possible de mener à Rome aucune activité publique ou privée; enfin, on apprend par Festus que ce mundus ouvert trois fois par an était aussi appelé mundus Cereris (« le mundus de Cérès »), et par Macrobe (qui semble s’inspirer de Varron) que ce mundus était également « consacré à Dis Pater et à Proserpine ». "

 Michel HUMM Le mundus et le Comitium : représentations symboliques de l'espace de la cité (2004)  https://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2004-2-page-43.htm#

                            ce qui reste de l'Umbilicus sur le Forum Romanum


* "Pourtant aucune fête religieuse de la Rome antique ne me semble plus évocatrice que celle, où, trois fois l'an, les 24 août, 5 octobre et 8 novembre de notre calendrier, au mont Palatin, non loin de la grotte où la louve trouva, nouveaux-nés, les jumeaux et les allaita, la Biogée, d'ordinaire close, et sans l'aide d'aucun dieu ni aucun signal de leur part, ouvre la bouche pour laisser passer la complainte immonde des morts. La fête s'appelait Mundus patet: Monde s'ouvre, Terre bâille ou bée. (...)

Je crois pourtant que nos ancêtres romains se trompaient sur le sens et les sons émanés de la béance tectonique. Comme ils ne comprenaient pas le tohu-bohu issu des entrailles noires du sol, ils interprétaient le bâillement qui sortait de la faille comme des paroles de fantômes revenant du fond des Enfers. Ils faisaient comme nous, citoyens, ils humanisaient, ils politisaient le monde. Non, les morts ne parlent ni ne chantent, ni ne pleurent, ni ne hurlent, leurs poussières et leurs os restent tacites pour toujours. Ce brouhaha, ce bruit, cette rumeur sortie de la sape et de ses masses sombres vient du monde lui-même, sans masque, mort ni dieu surajoutés. Mundus patet: un bruit étrange émane du sol, déchiré ce jour-là.  (...)

Les Romains eurent le génie, que nous avons perdu, d'entrouvrir de temps en temps la bouche d'ombre de ces choses qui chuchotent, mais ils avaient déjà perdu, eux aussi, et depuis longtemps, celui de percevoir directement le mystère intraduisible de ces bruits dont seul Orphée, jadis, avait essayé de reproduire, sur sa lyre, les voix. Et de panique, ils recouvraient ces rumeurs infernales de figures divines, parlantes et sensées. (...)

Michel Serres Biogée, "Terre et Monts, Terre bée". ed. Le pommier poche, p. 36-38

 

 

 

Un lien vers le calendrier des fêtes romaines:

le site Legio VIII

Un lien vers un article en anglais sur le sujet: https://munduspatet.blog/about/

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Votre commentaire sera publié après modération.